Montréal, le 6 février 2019.
Lettre de l’AIPS adressée à M. François Legault, Premier Ministre du Québec suite à l’actualité mouvementé de la dernière semaine.
Monsieur le Premier Ministre,
Jusqu’où le gouvernement du Québec est-il prêt à aller pour défendre les pesticides et les intérêts de son industrie?
Les récents événements autour du congédiement du lanceur d’alerte, l’agronome Louis Robert, ont l’intérêt de placer au premier plan, le fond du dossier soit les pressions exercées par l’industrie de pesticides sur des recherches démontrant que l’utilisation des pesticides néonicotinoïdes se révèle inutile dans 95% des cas . On comprend aisément pourquoi ce constat déplaît aux nombreux lobbyistes dont M. Overbeek, président du Centre de recherche sur les grains (CEROM).
À ce cas, s’ajoute celui de M. Livernoche, congédié du ministère de l’environnement en 2015 puis réintégré sur ordre de la Cour supérieure pour avoir dénoncé, à raison, la faiblesse des inspections sur les pesticides.
Au-delà de ces deux congédiements qui illustrent la perte de l’expertise agronomique publique au détriment des agronomes en conflits d’intérêts, la situation des pesticides au Québec est à proprement parler hors de contrôle.
En effet, d’un côté il y a une situation scandaleuse de surutilisation abusive et systématique des pesticides au Québec et de l’autre une incapacité des gouvernements successifs à agir sur le dossier pour inverser la tendance. Ce constat a été clairement résumé par le vérificateur général dans son rapport de 2016 sur le sujet : “Ainsi, l’augmentation des ventes de pesticides se poursuit et les indicateurs de risque qui y sont associés étaient à la hausse en 2014, malgré l’adoption de la première stratégie phytosanitaire il y a près de 25 ans”.
L’exemple des semences enrobées en est une belle illustration. Encore aujourd’hui, le gouvernement ne souhaite même pas savoir la quantité utilisée.
Les
dernières modifications réglementaires
menées par le dernier gouvernement libéral sont largement insuffisantes et déjà dépassées. Il s’agit de restrictions minimes sur une poignée de pesticides pour quelques cultures, tandis que la vente de pesticides ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui de nombreuses molécules dont les effets toxiques sont largement documentés par les scientifiques, par ailleurs interdits dans d’autres pays, restent en vente libre et continuent de s’accumuler dans notre eau, nos sols et nos aliments.
Alors que vous-même, M. Legault avez annoncé et réitéré le fait que vous ne céderiez pas aux lobbys, leurs activités semblent aujourd’hui hautement récompensée. Vous avez une opportunité dans les prochains mois de démontrer, sans ambiguïté, qu’il est possible d’agir autrement dans l’intérêt de tous les citoyens du Québec, pour leur santé et en particulier celle de nos enfants, et pour l’environnement. Les excuses du Ministre Lamontagne et la surveillance du CEROM ne suffiront pas à corriger la situation de surutilisation des pesticides.
Alors que les agriculteurs sont sans cesse mis sous pression par les
quelques firmes qui contrôlent le marché des pesticides et des semences
et que les risques pour leur santé n’ont jamais été aussi évidents, les solutions existent! Nous proposons que soit organisé:
- Une nouvelle Stratégie québécoise cohérente sur les pesticides, comportant des échéanciers précis prenant compte des recommandations du Vérificateur Général. De plus, nous proposons d’agir dès maintenant en modifiant le Règlement sur les permis et les certificats pour la vente et l’utilisation des pesticides pour inclure tous les néonicotinoïdes, les pesticides les plus utilisés (tel que les herbicides à base de glyphosate) dans la catégorie 3A et comptabiliser toutes les utilisations des pesticides en enrobage de semence. Nous demandons que cette stratégie soit basée sur des faits scientifiques et mise sur pied avec des experts indépendants et des organisations de la société civile défendant l’intérêt des Québecois-es.
- La mise sur pied d’une commission d’enquête en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête, pour évaluer: l’argent public utilisé pour promouvoir l’utilisation des pesticides; les causes de l’inefficacité des actions gouvernementales et l’influence des lobbyistes de l’industrie des pesticides sur les politiques publiques.
- Une transformation du CEROM en centre de recherche entièrement public.
- La démission du ministre M. André Lamontagne et du sous-ministre Marc Dion qui ont démontré qu’ils étaient sous l’influence des demandes des lobbyistes.
- La garantie par la loi une séparation stricte des activités de vente et de conseil pour les agronomes et les entreprises.
- La garantie d’une protection accrue des lanceurs d’alertes à travers une amélioration de la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics.
- Nous demandons enfin la création d’un groupe de travail indépendant pour proposer des stratégies de transition vers une agriculture québécoise soutenable sans pesticides, plus que jamais nécessaire dans un contexte d’effondrement de la biodiversité, d’accroissement des maladies chroniques et de pollutions généralisées des sols et cours d’eau en milieu agricole.
Monsieur le Premier Ministre, vous avez l’occasion de montrer un changement avec les gouvernements précédents, votre gouvernement a la responsabilité d’agir enfin sur le dossier des pesticides pour reprendre le contrôle, assurer la transparence de l’action publique et garantir la confiance des citoyens, des employés de l’État et des agriculteurs. Cette transition agricole a un potentiel de retombées économiques, sociales et environnementales bien supérieures aux pratiques actuelles qui continuent de subventionner une industrie vouée à disparaître.
Veuillez recevoir l’expression de nos plus respectueuses salutations,
AIPS, Alliance pour l’Interdiction des Pesticides Systémiques.